[…] Merci. J’ai aimé ce: «Je ne parle pas de politique mais je parle de l’humanité». C’est sage. Les jeunes n’ont pas l’expérience des deux guerres. J’ai appris de mon grand-père, qui a fait la première, sur le Piave, j’ai beaucoup appris, de son récit. Egalement les chansons un peu ironiques contre le roi et la reine, j’ai appris tout cela. Les souffrances, les souffrances de la guerre… Que laisse une guerre? Des millions de mort, dans un grand massacre. Et puis il y a eu la seconde, et celle-là, je l’ai connue à Buenos Aires, avec tant de migrants qui sont arrivés: ils étaient très, très nombreux, après la seconde guerre mondiale. Italiens, Polonais, Allemands… très, très nombreux. Et en les écoutant, j’ai compris, nous comprenions tous ce qu’était une guerre, ce que nous ne connaissions pas chez nous. Je crois qu’il est important que les jeunes connaissent les effets des deux guerres du siècle dernier: c’est un trésor, négatif, mais un trésor à transmettre, pour créer des consciences. Un trésor qui a aussi fait grandir l’art italien: le cinéma de l’après-guerre est une école d’humanisme. C’est important qu’ils connaissent cela, pour ne pas tomber dans la même erreur. Qu’ils sachent comment se développe le populisme: par exemple, pensons aux années 32-33 de Hitler, ce jeune homme qui avait promis le développement de l’Allemagne après un gouvernement qui avait échoué. Qu’ils sachent comment commencent les populismes. Vous avez employé des mots très laids, mais très vrais: «semer la haine». Et on ne peut pas vivre en semant la haine. Dans l’expérience religieuse de l’histoire de la religion, nous pensons à la Réforme: nous avons semé la haine, beaucoup, de la part des deux côtés, protestants et catholiques. Je l’ai dit explicitement à Lund [en Suède, lors de la rencontre œcuménique] et maintenant, depuis 50 ans, lentement, nous nous sommes aperçus que ce n’était pas la bonne voie et nous cherchons à semer des gestes d’amitié et non de division. Il est facile de semer la haine, et pas seulement sur la scène internationale, mais aussi dans nos quartiers. On sort, on dit du mal d’une voisine, d’un voisin, on sème la haine et quand on sème la haine, il y a la division, il y a la méchanceté, dans la vie quotidienne. Semer la haine par les commentaires, par les bavardages… De la grande guerre, je passe aux bavardages, mais c’est le même genre. Semer la haine également par les bavardages en famille, dans le quartier, c’est tuer: tuer la réputation de l’autre, tuer la paix et la concorde en famille, dans le quartier, sur le lieu de travail, faire grandir les jalousies, les compétitions dont parlait la première jeune femme. Qu’est-ce que je fais — c’était votre question — quand je vois que la Méditerranée est un cimetière? Moi, je vous dis la vérité, je souffre, je prie et je parle. Nous ne devons pas accepter cette souffrance. Ne disons pas: «Mais, on souffre partout, avançons…». Non, cela ne va pas. Aujourd’hui, il y a la troisième guerre mondiale par morceaux, là, et là, et là… Regardez les lieux de conflit. Manque d’humanité, agression, haine entre les cultures, entre les tribus, et même une déformation de la religion pour pouvoir mieux haïr. Ce n’est pas une route: c’est la route du suicide de l’humanité. Semer la haine, préparer la troisième guerre mondiale, qui est en cours par morceaux. Et je crois que je n’exagère pas. Il me vient à l’esprit — et il faut dire cela aux jeunes — cette prophétie d’Einstein: «La quatrième guerre mondiale se fera avec les pierres et les bâtons», parce que la troisième aura tout détruit. Semer la haine et faire grandir la haine, créer violence et division est un chemin de destruction, de suicide, d’autres destructions. Et on peut couvrir [justifier] cela par la liberté, on peut le couvrir par tant de motifs! Ce jeune homme du siècle dernier, dans les années 30, le couvrait par la pureté de la race; et à présent, les migrants. Accueillir le migrant est un mandat biblique, parce que «toi-même tu as été migrant en Egypte» (cf. Lv 19, 34). Et puis réfléchissons: l’Europe a été faite par les migrants, de nombreux courants migratoires, au cours des siècles, ont fait l’Europe d’aujourd’hui, les cultures se sont mélangées. Et l’Europe sait bien que, dans les moments durs, d’autres pays, d’Amérique par exemple, du nord ou du sud, ont accueilli les migrants européens, elle sait ce que cela signifie. Nous devons reprendre, avant d’exprimer un jugement sur le problème des migrations, reprendre notre histoire européenne. Je suis fils d’un migrant qui est allé en Argentine et beaucoup de personnes, en Amérique, beaucoup ont un nom de famille italien, ce sont des migrants. Accueillis avec le cœur et les portes ouvertes. Mais la fermeture est le début du suicide. Il est vrai qu’il faut accueillir les migrants, il faut les accompagner, mais surtout il faut les intégrer. Si nous accueillons «comme ça» [comme cela vient, sans un plan], nous ne rendons pas un beau service: il y a le travail d’intégration. La Suède a été un exemple sur ce plan depuis plus de 40 ans. Je l’ai vécu de près: beaucoup d’Argentins et d’Uruguayens, au temps de nos dictatures militaires, se sont réfugiés en Suède. Et ils ont été intégrés tout de suite, tout de suite. Ecole, travail… Intégrés dans la société. Et l’année dernière, quand je suis allé à Lund, j’ai été reçu à l’aéroport par le premier ministre et ensuite, comme il ne pouvait pas venir lui-même à mon départ, il a envoyé une ministre, de la culture je crois… En Suède, où ils sont tous blonds, elle était un peu brune: une ministre de la culture comme cela… Et puis j’ai appris qu’elle était la fille d’une Suédoise et d’un migrant de l’Afrique. Tellement intégrée qu’elle a réussi à être ministre du pays. C’est ainsi que l’on intègre. En revanche, la tragédie dont nous nous souvenons tous, à Zaventem [en Belgique], n’a pas été l’œuvre d’étrangers: elle est venue de jeunes Belges! Mais des jeunes Belges qui avaient été ghettoïsés dans un quartier. Oui, on les a reçus mais pas intégrés. Et ce n’est pas la bonne voie. Un gouvernement doit avoir — ce sont les critères — le cœur ouvert pour recevoir, de bonnes structures pour permettre la voie de l’intégration et aussi la prudence de dire: jusqu’à ce point, je peux, au-delà je ne peux pas. Et c’est pourquoi il est important que toute l’Europe se mette d’accord sur ce problème. En revanche, le poids le plus lourd, c’est l’Italie, la Grèce, l’Espagne, un peu Chypre, ces trois ou quatre pays qui le portent… C’est important. Mais s’il vous plaît, ne semez pas la haine. Et aujourd’hui, je demanderais s’il vous plaît à tous de regarder le nouveau cimetière européen: il s’appelle mer Méditerranée, il s’appelle mer Egée. Voilà ce qu’il me vient à l’esprit de vous dire. Et merci d’avoir posé cette question, pas politique, mais d’humanité. Merci! […]