C’est le deuxième gilet de sauvetage que je reçois en don. Le premier m’a été offert il y a quelques années par un groupe de secouristes. Il appartenait à une enfant qui s’est noyée en Méditerranée. Je l’ai ensuite donné aux deux sous-secrétaires de la section migrants et réfugiés du dicastère pour le service du développement humain intégral. Je leur ai dit: «Voilà votre mission!». J’ai voulu exprimer à travers cela l’engagement incontournable de l’Eglise à sauver les vies des migrants, pour pouvoir ensuite les accueillir, les protéger, les promouvoir et les intégrer. Voici un deuxième gilet de sauvetage, qui m’a été remis par un autre groupe de secouristes il y a quelques jours, il a appartenu à un migrant disparu en mer en juillet dernier. Personne ne sait qui il était ni d’où il venait. On sait seulement que son gilet de sauvetage a été récupéré à la dérive au centre de la Méditerranée, le 3 juillet 2019, à des coordonnées géographiques précises. Nous sommes face à une autre mort causée par l’injustice. Oui, parce que c’est l’injustice qui contraint de nombreux migrants à quitter leurs terres. C’est l’injustice qui les oblige à traverser les déserts et à subir des abus et des tortures dans les camps de détention. C’est l’injustice qui les repousse et les fait mourir en mer. Une croix en résine colorée est «revêtue» du gilet qui veut exprimer l’expérience spirituelle que j’ai pu percevoir dans les paroles des secouristes. En Jésus Christ, la croix est source de salut «folie pour ceux qui se perdent — dit saint Paul —, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, elle est puissance de Dieu» (1 Co 1, 18). Dans la tradition chrétienne, la croix est symbole de souffrance et de sacrifice et dans le même temps, de rédemption et de salut. Cette croix est transparente: elle se présente comme un défi à regarder avec une plus grande attention et à chercher toujours la vérité. La croix est lumineuse: elle veut renforcer notre foi dans la Résurrection, le triomphe du Christ sur la mort. Le migrant inconnu, mort dans l’espoir d’une nouvelle vie, participe lui aussi à cette victoire. Les secouristes m’ont raconté qu’ils apprennent l’humanité des personnes auxquelles ils portent secours. Ils m’ont révélé que dans chaque mission, ils redécouvrent la beauté d’être une unique grande famille humaine, unie dans la fraternité universelle. J’ai décidé d’exposer ici ce gilet de sauvetage, «crucifié» sur cette croix, pour nous rappeler que nous devons garder les yeux ouverts, garder notre cœur ouvert, pour rappeler à tous l’engagement impératif de sauver chaque vie humaine, un devoir moral qui unit les croyants et les non-croyants. Comment pouvons-nous ne pas écouter le cri désespéré de nos nombreux frères et sœurs qui préfèrent affronter une mer démontée plutôt que mourir lentement dans des camps de détention libyens, lieux de torture et d’esclavage ignobles? Comment pouvons-nous rester indifférents face aux abus et aux violences dont sont victimes des innocents, les laissant à la merci de trafiquants sans scrupules? Comment pouvons-nous «passer notre chemin», comme le prêtre et le lévite de la parabole du Bon Samaritain (cf. Lc 10, 31-32), nous rendant ainsi responsables de leur mort? Notre passivité est un péché! Je rends grâce au Seigneur pour tous ceux qui ont décidé ne pas rester indifférents et se prodiguent pour porter secours au malheureux, sans se poser trop de questions sur comment et pourquoi cette pauvre personne à demi-morte s’est retrouvée sur leur chemin. Ce n’est pas en bloquant les embarcations que l’on résout le problème. Il faut s’engager sérieusement à vider les camps de détention en Libye en étudiant et en mettant en œuvre toutes les solutions possibles. Il faut dénoncer et poursuivre les trafiquants qui exploitent et maltraitent les migrants, sans crainte de révéler les connivences et les complicités avec les institutions. Il faut mettre de côté les intérêts économiques afin qu’au centre, il y ait la personne, chaque personne, dont la vie et la dignité sont précieuses aux yeux de Dieu. Il faut secourir et sauver, parce que nous sommes tous responsables de la vie de notre prochain, et nous devrons en rendre compte au Seigneur au moment du jugement dernier. Merci.