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DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS AUX MEMBRES DE L’UNION JURISTES CATHOLIQUES ITALIENS

[…] Plus que jamais, en ces jours, en ces temps, les juristes catholiques sont
appelés à affirmer et à protéger les droits des plus faibles, au sein d’un système
économique et social qui feint d’inclure les différences mais qui, en fait, exclut
systématiquement ceux qui n’ont pas de voix. Les droits des travailleurs, des
migrants, des malades, des enfants non nés, des personnes en fin de vie et des
plus pauvres sont de plus en plus souvent négligés et niés dans cette culture du
rebut. Ceux qui n’ont pas la capacité de dépenser et de consommer semblent ne
rien valoir. Mais nier les droits fondamentaux, nier le droit à une vie digne, à des
soins physiques, psychologiques et spirituels, à un salaire juste signifie nier la
dignité humaine. Nous le voyons: combien d’ouvriers agricoles — pardonnez-moi
l’expression — «utilisés» pour la récolte des fruits ou des légumes, pour être
ensuite payés misérablement et chassés, sans aucune protection sociale. […]

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SOLENNITÉ DE L’IMMACULÉE CONCEPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE PAPE FRANÇOIS ANGELUS

À l’issue de l’Angélus:
Chers frères et sœurs, il y a deux jours, je suis rentré de mon voyage à Chypre
et en Grèce. Je rends grâce au Seigneur pour ce pèlerinage; je vous remercie
tous pour votre prière qui m’a accompagné, ainsi que les populations de ces
deux chers pays et leurs autorités civiles et religieuses, pour l’affection et la
gentillesse avec lesquelles elles m’ont accueilli. Je le redis à tous: merci!
Chypre est une perle dans la Méditerranée, une perle d’une rare -beauté, mais
qui porte gravée en elle la blessure des barbelés, la souffrance à cause d’un mur
qui la divise. A Chypre, je me suis senti en famille; j’ai trouvé en tous des frères
et des sœurs. Je conserve dans mon cœur chaque rencontre, en particulier la
Messe au stade de Nicosie. J’ai été ému par mon cher frère orthodoxe
Chrysostome, lorsqu’il m’a parlé de l’Eglise Mère: en tant que chrétiens, nous
parcourons des chemins différents, mais nous sommes des enfants de l’Eglise de
Jésus, qui est mère et qui nous accompagne, qui nous garde, qui nous fait aller
de l’avant, tous frères. Je forme pour Chypre le vœu qu’elle soit toujours un
laboratoire de fraternité, ou la rencontre prévaut sur l’affrontement, où l’on
accueille son frère, surtout -lorsqu’il est pauvre, rejeté, émigré. Je répète que
devant l’histoire, devant les visages de ceux qui émigrent, nous ne pouvons pas
nous taire, nous ne pouvons pas détourner le regard.
A Chypre, comme à Lesbos, j’ai pu regarder dans les yeux cette souffrance: s’il
vous plaît, regardons dans les yeux les rejetés que nous rencontrons,
laissons-nous provoquer par les visages des enfants, fils de migrants
désespérés. Laissons-nous creuser intérieurement par leur souffrance pour
réagir à notre indifférence ; regardons leur visage, pour nous réveiller du
sommeil de l’habitude!
Je pense également avec gratitude à la Grèce. Là encore, j’ai reçu un accueil
fraternel. A Athènes, je me suis senti plongé dans la grandeur de l’histoire, dans
cette mémoire de l’Europe: humanisme, démocratie, sagesse, foi. Là aussi, j’ai
éprouvé la mystique de l’ensemble: dans la rencontre avec mes frères évêques
et la communauté catholique, lors de la Messe joyeuse célébrée le jour du
Seigneur, puis avec les jeunes, venus de toute part, certains de très loin pour
vivre et partager la joie de l’Evangile. Et j’ai également vécu le don de pouvoir
serrer dans mes bras l’archevêque ortho-doxe, mon cher Hiéronymos: il m’a
d’abord accueilli chez lui et, le lendemain, c’est lui qui est venu me voir. Je
conserve dans mon cœur cette fraternité. Je confie à la Sainte Mère de Dieu les
nombreuses graines de rencontre et d’espérance que le Seigneur a semées au
cours de ce pèlerinage. Je vous demande de continuer de prier afin qu’elles
germent dans la patience et fleurissent dans la confiance. […]

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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS À CHYPRE ET EN GRÈCE (2-6 DÉCEMBRE 2021) VISITE AUX RÉFUGIÉS DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Chers frères et sœurs,
merci pour vos paroles. Je vous suis reconnaissant, Madame la Présidente, pour
votre présence et vos paroles. Chères sœurs, chers frères, je suis de nouveau là
pour vous rencontrer. Je suis venu vous dire que je suis proche de vous, et le
dire du fond du cœur. Je suis là pour voir vos visages, pour vous regarder dans
les yeux. Des yeux remplis de peur et d’attente, des yeux qui ont vu la violence
et la pauvreté, des yeux embués par trop de larmes. Il y a cinq ans sur cette île,
le Patriarche œcuménique, mon cher frère Bartholomée, a dit une chose qui m’a
frappé : « Celui qui a peur de vous ne vous a pas regardés dans les yeux. Celui
qui a peur n’a pas vu vos visages. Celui qui a peur n’a pas vu vos enfants. Il
oublie que la dignité et la liberté dépassent la peur et la division. Il oublie que la
question migratoire n’est pas un problème du Moyen-Orient et de l’Afrique du
Nord, de l’Europe et de la Grèce. Elle est un problème mondial » (Discours, 16
avril 2016).
Oui, c’est un problème mondial, une crise humanitaire qui nous concerne tous.
La pandémie nous a touchés de manière globale, elle nous a fait réaliser que
nous sommes tous dans la même barque, elle nous a fait éprouver ce que
signifie avoir les mêmes peurs. Nous avons compris que les grandes questions
doivent être abordées ensemble, car dans le monde d’aujourd’hui, les solutions
partielles sont inadaptées. Cependant, alors que les vaccinations progressent
difficilement à l’échelle mondiale et que, malgré beaucoup de retards et
d’incertitudes, quelque chose semble bouger dans la lutte contre le changement
climatique, tout paraît terriblement bloqué lorsqu’il s’agit de la question
migratoire. Pourtant, des personnes et des vies humaines, sont en jeu ! L’avenir
de tout le monde est en jeu, il ne sera serein que s’il est intégré. Ce n’est qu’en
étant réconcilié avec les plus faibles que l’avenir sera prospère. Parce que
lorsque les pauvres sont rejetés, c’est la paix qui est rejetée. Le repli sur soi et
les nationalismes – comme l’histoire nous l’enseigne – mènent à des
conséquences désastreuses. Comme l’a en effet rappelé le Concile Vatican II, «
la ferme volonté de respecter les autres hommes et les autres peuples ainsi que
leur dignité, et la pratique assidue de la fraternité sont absolument
indispensables à la construction de la paix » (Gaudium et spes, n. 78). C’est une
illusion de penser qu’il suffit de se préserver soi-même, en se défendant des plus
faibles qui frappent à la porte. L’avenir nous met de plus en plus en contact les
uns avec les autres. Pour en faire un bien, ce sont les politiques de grande
envergure qui sont utiles, et non les actions unilatérales. Je le répète : l’histoire
nous l’enseigne, mais nous ne l’avons toujours pas retenu. Ne tournons pas le
dos à la réalité, cessons de renvoyer constamment les responsabilités, ne
déléguons pas toujours la question migratoire aux autres, comme si elle ne
comptait pour personne, et n’était qu’un fardeau inutile dont quelqu’un est bien
obligé de se charger !
Chères sœurs, chers frères, vos visages, vos yeux nous demandent de ne pas
nous détourner, de ne pas nier l’humanité qui nous unit, de faire nôtres vos
histoires, et de ne pas oublier vos drames. Elie Wiesel, témoin de la plus grande
tragédie du siècle dernier, a écrit : « C’est parce que je me souviens de notre
origine commune que je m’approche de mes frères, les hommes. C’est parce que
je refuse d’oublier que leur avenir est aussi important que le mien (From the
Kingdom of Memory, Reminiscenses, New York, 1990, 10). En ce dimanche, je
prie Dieu de nous réveiller de l’oubli de ceux qui souffrent, de nous secouer de
l’individualisme qui exclut, de réveiller les cœurs sourds aux besoins des autres.
Et je prie aussi l’homme, tous les hommes : surmontons la paralysie de la peur,
l’indifférence qui tue, le désintérêt cynique qui, avec ses gants de velours,
condamne à mort ceux qui sont en marge ! Luttons à la racine contre cette
pensée dominante, cette pensée qui se concentre sur son propre moi, sur les
égoïsmes personnels et nationaux qui deviennent la mesure et le critère de toute
chose.
Cinq années se sont écoulées depuis ma visite ici, avec mes chers frères
Bartholomée et Jérôme. Après tout ce temps, nous constatons que peu de
choses ont changé sur la question migratoire. Certes, de nombreuses personnes
se sont engagées dans l’accueil et l’intégration, et je tiens à remercier les
nombreux bénévoles, ainsi que tous ceux qui, à tous les niveaux – institutionnel,
social, caritatif, politique – ont déployé de grands efforts en s’occupant des
personnes et de la question migratoire. Je salue l’engagement à financer et à
construire des structures d’accueil dignes, et je remercie de tout cœur la
population locale pour tout le bien accompli et les nombreux sacrifices consentis.
Et je voudrais remercier aussi les Autorités locales qui se sont employées à
recevoir, protéger et faire avancer ces personnes qui vient chez nous. Merci !
Merci pour ce que vous faites ! Il faut admettre avec amertume que ce pays,
comme d’autres, est encore en difficulté, et que certains en Europe persistent à
traiter le problème comme une affaire qui ne les concerne pas. Et cela est
tragique. Je me souviens de vos dernières paroles [de la Présidente] : “Que
l’Europe fasse la même chose”. Comme ces conditions sont indignes de l’homme
! Combien de hotspot où les migrants et les réfugiés vivent dans des conditions
à la limite de l’acceptable, sans entrevoir de solutions ! Pourtant, ce respect des
personnes et des droits humains, surtout sur le continent qui les promeut dans
le monde, devrait toujours être sauvegardé, et la dignité de chacun passer avant
tout ! Il est triste d’entendre proposer, comme solution, l’utilisation de fonds
communs pour construire des murs, des fils de fer barbelés. Nous sommes à
l’époque des murs et des fils de fer barbelés. Bien sûr, les peurs et les
insécurités, les difficultés et les dangers sont compréhensibles. La fatigue et la
frustration se font sentir, exacerbées par les crises économique et pandémique,
mais ce n’est pas en élevant des barrières que l’on résout les problèmes et que
l’on améliore la vie en commun. Au contraire, c’est en unissant nos forces pour
prendre soin des autres, selon les possibilités réelles de chacun et dans le
respect de la loi, en mettant toujours en avant la valeur irrépressible de la vie de
tout homme, de toute femme de toute personne. Elie Wiesel disait encore : «
Lorsque des vies humaines sont en danger, lorsque la dignité humaine est en
danger, les frontières nationales deviennent sans objet » (Discours d’acceptation
du prix Nobel de la paix, 10 décembre 1986).
Dans diverses sociétés, on oppose de façon idéologique sécurité et solidarité,
local et universel, tradition et ouverture. Plutôt que de prendre parti pour des
idées, il peut être utile de partir de la réalité : s’arrêter, étendre son regard,
l’immerger dans les problèmes de la plus grande partie de l’humanité, de tant de
populations victimes d’urgences humanitaires qu’elles n’ont pas causées mais
seulement subies, souvent suite à longues histoires d’exploitation qui durent
encore. Il est facile de mener l’opinion publique en diffusant la peur de l’autre.
Pourquoi, au contraire, ne pas parler avec la même vigueur de l’exploitation des
pauvres, des guerres oubliées et souvent largement financées, des accords
économiques conclus aux dépens des populations, des manœuvres secrètes pour
le trafic et le commerce des armes en provoquant leur prolifération ? Pourquoi on
ne parle pas de cela ? Il s’agit de s’attaquer aux causes profondes, et non aux
pauvres personnes qui en paient les conséquences et qui sont même utilisées
pour la propagande politique ! Pour éliminer les causes profondes, il ne suffit pas
de camoufler les urgences. Il faut des actions concertées. Il faut aborder les
changements d’époque avec une vision large. Parce qu’il n’y a pas de réponses
faciles aux problèmes complexes. Il est en revanche nécessaire d’accompagner
les processus de l’intérieur pour surmonter les ghettoïsations et favoriser une
intégration lente et indispensable, afin d’accueillir les cultures et les traditions
des autres de manière fraternelle et responsable.
Par-dessus tout, si nous voulons repartir, regardons le visage des enfants. Ayons
le courage d’éprouver de la honte devant eux, qui sont innocents et représentent
l’avenir. Ils interpellent nos consciences et nous interrogent : “Quel monde
voulez-vous nous donner ?” Ne fuyons pas trop vite les images crues de leurs
petits corps gisants sur les plages. La Méditerranée, qui a uni pendant des
millénaires des peuples différents et des terres éloignées, est en train de devenir
un cimetière froid sans pierres tombales. Ce grand plan d’eau, berceau de tant
de civilisations, est désormais comme un miroir de la mort. Ne permettons pas
que la mare nostrum se transforme en une désolante mare mortuum, que ce lieu
de rencontre ne devienne pas le théâtre de conflits ! Ne laissons pas cette “mer
des souvenirs” devenir la “mer de l’oubli”. Frères et sœurs, je vous en prie,
arrêtons ce naufrage de civilisation !
Sur les rives de cette mer, Dieu s’est fait homme. Sa Parole a fait écho, portant
l’annonce de Dieu qui est « Père et guide de tous les hommes » (Saint Grégoire
de Nazianze, Discours 7 pour son frère César, n. 24). Il nous aime comme ses
enfants, et veut que nous soyons frères. Et pourtant, c’est Dieu que l’on offense
en méprisant l’homme créé à son image, en le laissant à la merci des vagues,
dans le clapotis de l’indifférence, parfois même justifié au nom de prétendues
valeurs chrétiennes. La foi, au contraire, exige compassion et miséricorde – ne
l’oublions pas que c’est le style de Dieu : proximité, compassion et tendresse. La
foi exhorte à l’hospitalité, à cette filoxenia qui a imprégné la culture classique et
qui a trouvé sa manifestation définitive en Jésus, notamment dans la parabole
du Bon Samaritain (cf. Lc 10, 29-37) et dans les paroles du chapitre 25 de
l’Évangile de Matthieu (cf. vv. 31-46). Ce n’est pas de l’idéologie religieuse, ce
sont les racines chrétiennes concrètes. Jésus affirme solennellement qu’il est là,
dans l’étranger, dans le réfugié, dans celui qui est nu et affamé. Et le programme
chrétien, c’est d’être là où est Jésus. Oui, parce que le programme chrétien, a
écrit le Pape Benoît, c’« est un cœur qui voit » (Lettre encyclique Deus caritas
est, n. 31). Et je ne voudrais pas finir ce message sans remercier le peuple grec
pour son accueil. Très souvent cet accueil devient un problème, car on ne trouve
pas de voie de sortie pour les personnes, pour qu’elles aillent ailleurs. Merci,
frères et sœurs grecs pour cette générosité.
Prions maintenant la Vierge Marie pour qu’elle ouvre nos yeux sur les
souffrances de nos frères. Elle qui, en hâte, s’est mise en route vers sa cousine
Elizabeth qui était enceinte. Combien de mères enceintes ont trouvé la mort
dans la précipitation du voyage alors qu’elles portaient la vie dans leur sein !
Que la Mère de Dieu nous aide à avoir un regard maternel qui voie dans les
hommes des enfants de Dieu, des sœurs et des frères à accueillir, à protéger, à
promouvoir et à intégrer. Et à aimer tendrement. Que la Mère Toute Sainte nous
apprenne à mettre la réalité de l’homme avant les idées et les idéologies, et à
nous hâter à la rencontre de ceux qui souffrent.
Et maintenant prions tous ensemble la Vierge Marie.

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VOYAGE APOSTOLIQUR DU PAPE FRANÇOIS À CHYPRE ET EN GRÈCE (2-6 DÉCEMBRE 2021) RENCONTRE ENTRE SA BÉATITUDE IERONYMOS II ET SA SAINTETÉ FRANÇOIS AVEC LEURS DÉLÉGATIONS RESPECTIVES DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Béatitude,
« grâce et paix de la part de Dieu » (Rm 1, 7). Je vous salue avec ces mots du
grand Apôtre Paul, les mêmes mots qu’avec lesquels il s’adressait aux fidèles de
Rome, alors qu’il était en terre grecque. Aujourd’hui, notre rencontre renouvelle
cette grâce et cette paix. En priant devant les trophées de l’Église de Rome, que
sont les tombeaux des Apôtres et des martyrs, je me suis senti poussé à venir ici
en pèlerin, avec beaucoup de respect et d’humilité, pour renouveler cette
communion apostolique et nourrir la charité fraternelle. Je voudrais vous
remercier, Béatitude, pour les paroles que vous m’avez adressées et que je vous
retourne avec affection, saluant à travers vous le clergé, les communautés
monastiques et tous les fidèles orthodoxes de Grèce.
Nous nous sommes rencontrés, il y a cinq ans, à Lesbos, dans l’urgence de l’un
des plus grands drames de notre temps, celui de tant de frères et de sœurs
migrants, qui ne peuvent être abandonnés dans l’indifférence et considérés
uniquement comme un fardeau à gérer ou, pire encore, à déléguer à d’autres.
Nous nous retrouvons aujourd’hui pour partager la joie de la fraternité et pour
regarder la Méditerranée qui nous entoure, non seulement comme un lieu qui
inquiète et divise, mais aussi comme une mer qui unit. Il y a peu, j’évoquais ces
oliviers centenaires qui relient toutes ces terres. En pensant à ces arbres qui
nous unissent, je pense aux racines que nous partageons. Elles sont
souterraines, cachées, souvent négligées, mais elles sont bien là et c’est sur
elles que tout repose. Quelles sont nos racines communes qui ont traversé les
siècles ? Ce sont les racines apostoliques. Saint Paul les a mises en évidence en
rappelant l’importance d’être « intégrés dans la construction qui a pour
fondations les Apôtres » (Ep 2, 20). Ces racines, qui ont poussé à partir de la
semence de l’Evangile, ont commencé à porter de grands fruits précisément
dans la culture hellénique : je pense aux si nombreux Pères et aux premiers
grands Conciles œcuméniques. […]

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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS À CHYPRE ET EN GRÈCE (2-6 DÉCEMBRE 2021) RENCONTRE AVEC LES AUTORITÉS, LA SOCIÉTÉ CIVILE ET LE CORPS DIPLOMATIQUE DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Madame la Présidente de la République,
Membres du Gouvernement et du Corps diplomatique
Distinguées Autorités religieuses et civiles,
Éminents représentants de la société et du monde de la culture,
Mesdames et Messieurs !
Je vous salue chaleureusement et je remercie Madame la Présidente pour les
paroles de bienvenue qu’elle m’a adressées en votre nom et au nom de tous les
citoyens grecs. C’est un honneur pour moi d’être dans cette ville glorieuse. Je
fais miennes les paroles de saint Grégoire de Nazianze : « Athènes, ville d’or et
dispensatrice de bienfaits… alors que je cherchais l’éloquence, j’ai trouvé le
bonheur » (Oraison 43,14). Je viens en pèlerin dans ces lieux riches de
spiritualité, de culture et de civilisation, pour puiser à ce même bonheur qui
enthousiasmait ce remarquable Père de l’Église : la joie de cultiver la sagesse et
d’en partager la beauté. Un bonheur non pas individuel ni isolé, mais qui, né de
l’émerveillement, tend vers l’infini et s’ouvre à la communauté ; un bonheur
rempli de sagesse qui, à partir de ces lieux, s’est répandu partout : sans Athènes
et sans la Grèce, l’Europe et le monde ne seraient pas ce qu’ils sont. Ils seraient
moins sages et moins heureux.
Les horizons de l’humanité se sont élargis à partir d’ici. Je me sens aussi invité à
lever les yeux et à poser mon regard sur la partie la plus élevée de la ville,
l’Acropole. Visible de loin par les voyageurs qui ont débarqué ici au fil des
millénaires, elle offrait une référence incontournable à la divinité, un appel à
élargir les horizons vers le haut. Du mont Olympe à l’Acropole en passant par le
mont Athos, la Grèce invite les hommes de tous les temps à orienter le voyage
de la vie vers les sommets. Vers Dieu, parce que nous avons besoin de la
transcendance pour être vraiment humains. Et alors qu’aujourd’hui, en Occident
pourtant né ici, le besoin du Ciel tend à être occulté, piégés que nous sommes
par la frénésie de mille courses terrestres et par l’avidité insatiable d’un
consumérisme dépersonnalisant, ces lieux nous invitent à nous laisser
émerveiller par l’infini, la beauté de l’être, la joie de la foi. Les chemins de
l’Évangile sont passés par ici, unissant l’Orient à l’Occident, les Lieux Saints à
l’Europe, Jérusalem à Rome. Ces Évangiles, pour porter au monde la bonne
nouvelle de l’amour de Dieu pour l’homme, ont été écrits en grec, la langue
immortelle utilisée par le Verbe – le Logos – pour s’exprimer, la langue de la
sagesse humaine, devenue la voix de la Sagesse divine.
Mais dans cette ville, le regard tourné vers le haut est aussi attiré vers l’autre.
La mer, qu’Athènes domine, nous le rappelle. Elle oriente la vocation de cette
terre placée au cœur de la Méditerranée pour être un pont entre les peuples. De
grands historiens ont ici raconté avec passion les histoires de peuples voisins ou
éloignés. C’est là aussi, selon l’affirmation bien connue de Socrate, que l’on a
commencé à se sentir citoyen, non seulement de sa propre patrie, mais du
monde entier. Citoyen : l’homme a pris ici conscience d’être « un animal politique »
(cf. Aristote, Politique, I, 2) et, en tant que membre d’une communauté, il a vu
dans les autres non pas des sujets, mais des citoyens avec lesquels organiser
ensemble la polis. Ici est née la démocratie. Le berceau, des millénaires plus
tard, est devenu une maison, une grande maison de peuples démocratiques : je
pense à l’Union européenne et au rêve de paix et de fraternité qu’elle représente
pour tant de peuples.
On ne peut cependant que constater avec inquiétude un recul de la démocratie,
et pas seulement sur le continent européen. La démocratie exige la participation
et l’implication de chacun, elle demande donc des efforts et de la patience. Elle
est complexe, alors que l’autoritarisme est expéditif et que les assurances faciles
offertes par les populismes semblent tentantes. Dans de nombreuses sociétés,
préoccupées par la sécurité et anesthésiées par le consumérisme, la fatigue et le
mécontentement conduisent à une sorte de « scepticisme démocratique ». Mais la
participation de tous est une exigence fondamentale, non seulement pour
atteindre des objectifs communs, mais parce qu’elle répond à ce que nous
sommes : des êtres sociaux, uniques et en même temps interdépendants.
Il y a également un scepticisme à l’égard de la démocratie causé par
l’éloignement des institutions, la peur de la perte d’identité et la bureaucratie. Le
remède à cette situation ne réside pas dans une recherche obsessionnelle de
popularité, dans une soif de visibilité, dans une proclamation de promesses
intenables ou dans une adhésion à une colonisation idéologique abstraite, mais
dans une bonne politique. Puisque la politique est une chose bonne, elle doit
l’être dans la pratique, en tant que responsabilité suprême du citoyen, en tant
qu’art du bien commun. Pour que le bien soit vraiment partagé, une attention
particulière, je dirais même une priorité, doit être accordée aux membres les
plus faibles de la société. Telle est la direction à prendre qu’un père fondateur de
l’Europe a indiquée comme antidote aux polarisations qui animent la démocratie
et risquent de l’exaspérer : « On parle beaucoup de qui va à gauche ou à droite,
mais ce qui est décisif, c’est d’aller de l’avant, et aller de l’avant signifie aller
vers la justice sociale » (A. de Gasperi, Discours prononcé à Milan, le 23 avril
1949). Un changement de rythme en ce sens est nécessaire alors que des peurs,
amplifiées par les communications virtuelles, se propagent chaque jour
davantage et que des théories sont élaborées pour s’affronter aux autres. Au
contraire, aidons-nous à passer de l’esprit partisan à la participation ; d’un
engagement à soutenir uniquement son propre parti à une implication active
pour la promotion de tous.
De l’esprit partisan à la participation. C’est l’état d’esprit qui doit nous animer
sur de nombreux fronts : je pense au climat, à la pandémie, au marché commun
et surtout à la pauvreté généralisée. Ce sont des défis qui demandent une
collaboration concrète et active. La communauté internationale en a besoin pour
ouvrir des chemins de paix grâce à un multilatéralisme qui ne soit pas étouffé
par des prétentions nationalistes excessives. La politique a besoin de cela pour
faire passer les exigences communes avant les intérêts privés. Cela peut
ressembler à une utopie, à un voyage sans espoir sur une mer agitée, à une
odyssée longue et irréalisable. Et pourtant, la traversée d’une mer agitée,
comme nous l’enseigne le grand récit homérique, est souvent la seule voie. Ce
voyage mène au but s’il est animé par le désir d’un chez soi, par la recherche
d’aller de l’avant ensemble, par le nóstos álgos, par la nostalgie. À cet égard, je
voudrais redire mon appréciation du chemin pourtant difficile qui a conduit à
“l’Accord de Prespa”, signé entre cette République et la République de Macédoine
du Nord.
En regardant encore la Méditerranée, cette mer qui nous ouvre à l’autre, je
pense à ses rivages fertiles et à l’arbre qui pourrait en être le symbole : l’olivier
dont les fruits viennent à peine d’être récoltés et qui unit les différentes terres
qui bordent cette mer unique. Il est triste de voir comment, ces dernières
années, de nombreux oliviers centenaires ont brûlé, consumés par des incendies
souvent provoqués en raison de conditions météorologiques défavorables,
elles-mêmes causées par le changement climatique. Face au paysage meurtri de
ce merveilleux pays, l’olivier peut symboliser la volonté de lutter contre la crise
climatique et ses ravages. Après le Déluge, cataclysme primordial relaté par la
Bible, une colombe revient vers Noé portant « dans son bec un rameau d’olivier
tout frais » (Gn 8,11). C’était le symbole d’un nouveau départ, de la force de
recommencer en changeant de mode de vie, en renouvelant les relations avec le
Créateur, les créatures et la Création. En ce sens, j’espère que les engagements
pris dans la lutte contre le changement climatique ne seront pas qu’une façade,
mais qu’ils seront de plus en plus partagés et sérieusement mis en œuvre.
Qu’aux paroles succèdent les faits, afin que les fils ne paient pas l’énième
hypocrisie de leurs pères. C’est en ce sens que résonnent les paroles qu’Homère
met sur les lèvres d’Achille : « Celui qui cache sa pensée dans son âme et ne dit
point la vérité m’est plus odieux que le seuil d’Hadès » (Iliade, IX, 312-313).
L’olivier, dans les Écritures, représente également une invitation à la solidarité,
en particulier avec ceux qui n’appartiennent pas à son propre peuple. « Lorsque
tu auras récolté tes olives, tu ne retourneras pas chercher ce qui reste. Laisse-le
pour l’immigré, l’orphelin et la veuve » (Dt 24, 20). Ce pays, disposé à l’accueil,
a reçu sur certaines de ses îles un nombre de frères et de sœurs migrants plus
élevé que celui des habitants eux-mêmes, augmentant ainsi leurs difficultés
alors qu’ils ressentent encore les conséquences de la crise économique.
L’Europe, pourtant, persiste à tergiverser : la Communauté Européenne,
déchirée par les égoïsmes nationalistes, apparaît parfois bloquée et non
coordonnée, au lieu d’être un moteur de solidarité. Si, à une certaine époque, les
différences idéologiques ont empêché la construction de ponts entre l’Est et
l’Ouest du continent, aujourd’hui, la question migratoire a ouvert des brèches
entre le Sud et le Nord. Je voudrais exhorter une fois de plus à une vision
globale et communautaire de la question migratoire, et inciter à prêter attention
aux plus démunis afin que, selon les possibilités de chaque pays, ils soient
accueillis, protégés, promus et intégrés dans le plein respect de leurs droits
humains et de leur dignité. Plus qu’un obstacle pour le présent, il s’agit là d’une
garantie pour l’avenir, un signe de coexistence pacifique avec ceux qui, de plus
en plus nombreux, sont contraints de fuir en quête d’un foyer et d’espoir. Ce
sont eux les protagonistes d’une terrible odyssée moderne. J’aime rappeler que
lorsqu’Ulysse débarqua à Ithaque, il ne fut pas reconnu par les seigneurs locaux
qui avaient usurpé sa maison et ses biens, mais par ceux qui avaient pris soin de
lui. Sa nourrice comprit que c’était lui en voyant ses cicatrices. Les souffrances
nous réunissent, et reconnaître que nous appartenons à la même humanité
fragile nous aidera à construire un avenir plus intégré et plus pacifique.
Transformons en une audacieuse opportunité ce qui semble être une épreuve
malheureuse !
La pandémie est, en revanche, la grande épreuve. Elle nous a fait redécouvrir
que nous sommes fragiles et que nous avons besoin des autres. Dans ce pays
aussi, elle est un défi qui suppose une action appropriée de la part des autorités
– je pense à la nécessité d’une campagne de vaccination – et de nombreux
sacrifices de la part des citoyens. Au milieu de tant d’efforts, cependant, un
remarquable sens de la solidarité a émergé, auquel l’Église catholique locale est
heureuse de pouvoir continuer à contribuer, convaincue qu’il s’agit là d’un
héritage à ne pas perdre, alors que la tempête se calme lentement. Certaines
phrases du serment d’Hippocrate semblent avoir été écrites pour aujourd’hui,
comme l’engagement à “réguler le niveau de vie pour le bien des malades”, à
“s’abstenir de causer du tort et de l’offense” à autrui, à sauvegarder la vie à tout
moment, notamment dans le sein maternel (cf. Serment d’Hippocrate, texte
ancien). Le droit aux soins et aux traitements pour tous doit toujours être
privilégié, afin que les plus faibles, notamment les personnes âgées, ne soient
jamais rejetés : que les personnes âgées ne soient pas les personnes privilégiées
de la culture du rejet. Les personnes âgées sont le signe de la sagesse d’un
peuple. La vie est en effet un droit, et non la mort, qui doit être accueillie et non
administrée.
Chers amis, certains oliviers méditerranéens sont si anciens, qu’ils auraient
même précédé la venue du Christ. Centenaires et durables, ils ont résisté à
l’épreuve du temps et nous rappellent l’importance de préserver des racines
solides, irriguées de mémoire. Ce pays peut être défini comme la mémoire de
l’Europe – vous êtes la mémoire de l’Europe -, et je suis ravi de le visiter vingt
ans après la visite historique du pape Jean-Paul II, et à l’occasion du
bicentenaire de son indépendance. La phrase du général Colocotronis est bien
connue : « Dieu a apposé sa signature sur la liberté de la Grèce ». Dieu appose
volontiers sa signature sur la liberté humaine, toujours et partout. C’est son don
le plus grand, celui qu’à son tour, il apprécie le plus de notre part. En effet, il
nous a créés libres, et ce qui le réjouit le plus, c’est que nous l’aimions
librement, lui et notre prochain. Tout ceci est rendu possible par les lois, mais
aussi par l’éducation à la responsabilité et par le développement d’une culture du
respect. A ce propos, je souhaite renouveler ma gratitude pour la reconnaissance
publique de la Communauté catholique. Je vous assure de sa volonté de
promouvoir le bien commun de la société grecque, en orientant dans ce sens
l’universalité qui la caractérise, avec l’espoir que, dans la pratique, les conditions
nécessaires pour qu’elle puisse bien remplir son service lui soient toujours
garanties.
Il y a deux cents ans, le Gouvernement provisoire du pays s’adressait aux
catholiques avec ces mots touchants : « Le Christ a commandé l’amour du
prochain. Mais qui est plus proche de nous que vous, nos concitoyens, même s’il
y a quelques différences dans les rites ? Nous avons une seule Patrie, nous
sommes d’un seul peuple ; nous, chrétiens, sommes frères – frères par les
racines, frères dans la croissance et dans les fruits – par la Sainte Croix ». Être
frères sous le signe de la Croix, dans ce pays béni par la foi et par ses traditions
chrétiennes, est un appel pour les croyants au Christ à cultiver la communion à
tous les niveaux, au nom de ce Dieu qui étreint chacun de sa miséricorde. C’est
pourquoi, chers frères et sœurs, que je vous remercie pour votre engagement et
que je vous exhorte à faire avancer ce pays dans l’ouverture, l’inclusion et la
justice. De cette ville, de ce berceau de la civilisation, un message a surgi et
surgira toujours, un message qui oriente vers le Haut et vers l’autre ; qui répond
aux séductions de l’autoritarisme par la démocratie ; qui oppose à l’indifférence
individualiste l’attention à l’autre, au pauvre et à la Création, qui sont les pierres
angulaires essentielles d’un humanisme renouvelé, dont notre époque et notre
Europe ont besoin. O Theós na euloghi tin Elládha! (Que Dieu bénisse la Grèce !)

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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS À CHYPRE ET EN GRÈCE (2-6 DÉCEMBRE 2021) MESSE HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Salut final à la fin de la Messe
Chers frères et sœurs,
c’est moi qui souhaite vous remercier tous! Demain matin, j’aurai l’occasion de
saluer le Président de la République ici présent : je le saluerai au moment de
quitter le pays, mais d’ores et déjà, je tiens à exprimer à vous tous, du fond du
cœur, ma gratitude pour l’accueil et l’affection que vous m’avez réservés. Merci !
Ici, à Chypre, je respire un peu de cette atmosphère typique de la Terre Sainte,
où l’antiquité et la variété des traditions chrétiennes enrichissent le pèlerin. Cela
me fait du bien, et cela fait du bien de rencontrer des communautés de croyants
qui vivent le présent avec espérance, ouverts sur l’avenir, et partageant cet
horizon avec les plus démunis. Je pense en particulier aux migrants en quête
d’une vie meilleure, avec lesquels j’aurai ma dernière rencontre sur cette île,
avec les frères et sœurs de diverses confessions chrétiennes.
Merci à tous ceux qui ont collaboré à cette visite! Priez pour moi. Que le
Seigneur vous bénisse et que Notre Dame vous protège. Efcharistó [Merci]

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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS À CHYPRE ET EN GRÈCE (2-6 DÉCEMBRE 2021) PRIÈRE ŒCUMÉNIQUE AVEC LES MIGRANTS

Chers frères et sœurs !
C’est une grande joie de me trouver ici avec vous et de finir ma visite à Chypre
avec cette rencontre de prière. Je remercie les Patriarches Pizzaballa et Béchara
Raï, ainsi que Madame Elisabeth de la Caritas. Je salue avec affection et
reconnaissance les Représentants des différentes confessions chrétiennes
présentes à Chypre.
Je voudrais dire un grand “merci” du fond du cœur à vous, jeunes migrants, qui
avez donné vos témoignages. Je les avais reçus à l’avance il y a environ un mois
et ils m’avaient beaucoup touché, et, aujourd’hui encore, ils m’ont ému en les
entendant. Mais ce n’est pas seulement de l’émotion, c’est bien plus : c’est de
l’émotion qui vient de la beauté de la vérité. Comme celle de Jésus lorsqu’il s’est
exclamé : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que
tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Mt 11,
25). Moi aussi, je loue le Père céleste parce que cela se passe aujourd’hui, ici –
comme aussi partout dans le monde – : aux petits, Dieu révèle son Royaume,
Royaume d’amour, de justice et de paix.
Après vous avoir écoutés, nous comprenons mieux toute la puissance
prophétique de la Parole de Dieu qui, à travers l’apôtre Paul, dit : « Vous n’êtes
plus des étrangers ni des gens de passage, vous êtes concitoyens des saints,
vous êtes membres de la famille de Dieu » (Ep 2, 19). Des paroles écrites aux
chrétiens d’Éphèse – non loin d’ici ! – ; des paroles très lointaines dans le temps,
mais très proches, plus actuelles que jamais, comme si elles avaient été écrites
aujourd’hui pour nous : “Vous n’êtes pas des étrangers, mais des concitoyens”.
C’est la prophétie de l’Église : une communauté qui – avec toutes les limites
humaines – incarne le rêve de Dieu. Car Dieu rêve aussi, comme toi, Mariamie,
qui viens de la République Démocratique du Congo et qui t’es définie comme
“pleine de rêves”. Comme toi, Dieu rêve d’un monde de paix, dans lequel ses
enfants vivent comme des frères et sœurs. Dieu veut cela, Dieu rêve de cela.
C’est nous qui ne voulons pas.
Votre présence, frères et sœurs migrants, est très significative pour cette
célébration. Vos témoignages sont comme un “miroir” pour nous, communautés
chrétiennes. Lorsque toi, Thamara qui viens du Sri Lanka, tu dis : “On me
demande souvent qui je suis” : la brutalité des migrations met en jeu l’identité
même. Mais moi, je suis cela ? Je ne sais pas… Où sont mes racines ? Qui
suis-je. Et lorsque tu dis cela tu nous rappelles qu’on nous pose aussi parfois
cette question : “Qui es-tu ?”. Et malheureusement cela signifie souvent : “De
quel parti es-tu ? À quel groupe appartiens-tu ?” Mais comme tu nous l’as dit,
nous ne sommes pas des numéros, nous ne sommes pas des individus à
cataloguer. Nous sommes “frères”, “amis”, “croyants”, “proches” les uns des
autres. Mais lorsque les intérêts de groupe ou les intérêts politiques, même ceux
des nations, poussent, beaucoup d’entre nous se trouvent mis à part, sans le
vouloir, esclaves. Car toujours l’intérêt asservit, toujours il fait des esclaves.
L’amour, qui est large, qui est le contraire de la haine, l’amour nous rend libre.
Lorsque toi, Maccolins, qui viens du Cameroun, tu dis qu’au cours de ta vie tu as
été “blessé par la haine”, tu parles de cela, de ces blessures des intérêts ; et tu
nous rappelles que la haine a aussi pollué nos relations entre chrétiens. Et cela,
comme tu l’as dit, laisse sa marque, une marque profonde qui dure longtemps.
C’est un poison. Oui, tu l’as fait sentir, avec ta passion : la haine est un poison
dont il est difficile de se désintoxiquer. Et la haine est une mentalité une
mentalité tordue, qui au lieu de nous faire reconnaître comme des frères, nous
fait voir comme des adversaires, comme des rivaux quand ce n’est pas comme
des objets à vendre ou à exploiter.
Lorsque toi, Rozh, qui viens d’Iraq, tu dis que tu es “une personne en voyage”,
tu nous rappelles que nous sommes aussi des communautés en voyage, nous
sommes sur le chemin du conflit à la communion. Sur ce long chemin fait de
montées et de descentes, il ne faut pas avoir peur des différences entre nous,
mais plutôt, oui, de nos fermetures et de nos préjugés qui nous empêchent de
nous rencontrer vraiment et de marcher ensemble. Les fermetures et les
préjugés reconstruisent entre nous ce mur de séparation que le Christ a abattu,
celui de l’inimitié (cf. Ep 2, 14). Ainsi notre voyage vers la pleine unité peut se
poursuivre dans la mesure où, tous ensemble, nous gardons le regard fixé sur
Jésus qui est « notre paix » (ibid.), qui est la « pierre angulaire » (v. 20). Et lui,
le Seigneur Jésus, vient à notre rencontre avec le visage du frère marginalisé et
rejeté. Avec le visage du migrant méprisé, rejeté, mis en cage, exploité… Mais
aussi – comme tu l’as dit – du migrant qui voyage vers quelque chose, vers une
espérance, vers une coexistence plus humaine…
Et ainsi Dieu nous parle à travers vos rêves. Le danger est que souvent nous ne
laissons pas entrer les rêves en nous, et que nous préférons dormir au lieu de
rêver. Il est si facile de regarder ailleurs. Et en ce monde nous nous sommes
habitués à cette culture de l’indifférence, à cette culture du regarder ailleurs et
nous endormir tranquilles. Mais sur cette route on ne peut jamais rêver. Elle est
dure. Dieu parle à travers vos rêves. Dieu ne parle pas à travers les personnes
qui ne rêvent de rien parce qu’elles ont tout ou parce que leur cœur s’est
endurci. Dieu nous appelle, nous aussi, à ne pas nous résigner à un monde
divisé, à ne pas nous résigner à une communauté chrétienne divisée, mais à
marcher dans l’histoire attirés par le rêve de Dieu, c’est à dire une humanité
sans murs de séparation, libérée de l’inimitié, avec non plus des étrangers mais
seulement des concitoyens, comme le disait Paul dans le passage que j’ai cité.
Différents, certes, et fiers de nos particularités, fiers d’être différents, de ces
particularités qui sont un don de Dieu. Différents et fiers de l’être mais toujours
réconciliés, toujours frères.
Puisse cette île, marquée par une douloureuse division, – je vois le mur, là [à
travers la porte ouverte de l’église] – puisse-t-elle devenir, par la grâce de Dieu,
un laboratoire de fraternité. Je remercie tous ceux qui travaillent à cela. Penser
que cette île est généreuse mais ne peut pas tout faire, car le nombre de
personnes qui arrivent est supérieur à ses possibilités d’insertion, d’intégration,
d’accompagnement, de promotion. Sa proximité géographique facilite…, mais ce
n’est pas facile. Nous devons comprendre les limites auxquelles les gouvernants
de cette île sont liés. Mais il y a toujours sur cette île, et je l’ai vu chez les
responsables que j’ai rencontrés, [l’engagement] de devenir, avec la grâce de
Dieu, un laboratoire de fraternité. Et elle pourra l’être à deux conditions. La
première est la reconnaissance effective de la dignité de toute personne humaine
(cf. Enc. Fratelli tutti, n. 8). Notre dignité n’est pas à vendre, elle n’est pas à
louer, elle ne doit pas être perdue. La tête haute : je suis digne fils de Dieu. La
reconnaissance effective de la dignité de toute personne humaine : c’est le
fondement éthique, un fondement universel qui est aussi au cœur de la doctrine
sociale chrétienne. La deuxième condition est l’ouverture confiante à Dieu, le
Père de tous. Et cela est le “levain” que nous sommes appelés à apporter en tant
que croyants (cf. ibid., n. 272).
À ces conditions, il est possible que le rêve se transforme en un voyage
quotidien, fait de pas concrets allant du conflit à la communion, de la haine à
l’amour, de la fuite à la rencontre. Un cheminement patient qui, jour après jour,
nous fait entrer dans la terre que Dieu a préparée pour nous, la terre où, si on te
demande : “Qui es-tu ?”, tu peux répondre ouvertement : “Vois, Je suis ton frère
: tu ne me connais pas ?”. Et aller ainsi, lentement.
En vous écoutant, en vous regardant en face, la mémoire va au-delà, elle va aux
souffrances. Vous êtes arrivés ici : mais combien de vos frères et de vos sœurs
sont-ils restés en route ? Combien de désespérés commencent le voyage dans
des conditions très difficiles, mêmes précaires, et ne peuvent pas arriver ? Nous
pouvons parler de cette mer qui est devenue un grand cimetière. En vous
voyant, je vois les souffrances du chemin. Nombreux de ceux qui ont été
enlevés, vendus, exploités… sont encore en route, on ne sait pas où. C’est
l’histoire d’un esclavage, un esclavage universel. Nous voyons ce qui se passe, et
le pire c’est que nous sommes en train de nous habituer à cela. “Oui, aujourd’hui
une embarcation a coulé, là, beaucoup de disparus…” Mais ce fait de s’habituer
est une maladie grave, c’est une maladie très grave, et il n’y a pas d’antibiotique
pour cette maladie ! Nous devons aller contre ce vice de l’habitude de lire ces
tragédies dans les journaux ou de les entendre dans d’autres médias. En vous
voyant, je pense à beaucoup qui ont dû retourner parce qu’ils ont été repoussés
et ont fini dans les camps, de vrais camps où les femmes sont vendues, les
hommes torturés, faits esclaves… Nous nous lamentons lorsque nous lisons les
histoires des camps du siècle dernier, nazis, ceux de Staline, nous nous
lamentons lorsque nous voyons cela et nous disons : “mais comment cela a-t-il
pu arriver ?” Frères et sœurs, cela arrive aujourd’hui, sur les côtes voisines ! Des
lieux d’esclavage. J’ai vu des témoignages filmés de cela : des lieux de torture,
de vente de personnes. Je dis cela parce que c’est ma responsabilité d’aider à
ouvrir les yeux. La migration forcée n’est pas une pratique touristique : s’il vous
plait ! Et le péché que nous avons en nous nous pousse à penser : “pauvres
gens, pauvres gens !” et avec ce “pauvre gens” nous effaçons tout. C’est la
guerre de cette époque, c’est la souffrance de frères et sœurs que nous ne
pouvons pas taire. Ceux qui ont donné tout ce qu’ils avaient pour monter sur
une embarcation, de nuit, et ensuite… sans savoir s’ils arriveront… Et ensuite
repoussés pour finir dans les camps, vrais lieux de confinement, de torture et
d’esclavage.
Cela, c’est l’histoire de cette civilisation développée que nous appelons Occident.
Et ensuite – excusez-moi, mais je voudrais dire ce que j’ai sur le cœur, au moins
afin de prier l’un pour l’autre et faire quelque chose – et ensuite, les fils de fer
barbelés. On peut le voir ici : c’est une guerre de haine qui divise un pays. Mais
les barbelés, en d’autres lieux, sont mis pour ne pas laisser entrer le réfugié,
celui qui vient demander la liberté, du pain, de l’aide, de la fraternité, de la joie,
qui, fuyant la haine se retrouve devant une haine qui s’appelle fil de fer barbelé.
Que le Seigneur réveille la conscience de chacun de nous devant toutes ces
choses.
Et pardonnez-moi si j’ai dit les choses comme elles sont, mais nous ne pouvons
pas taire et regarder ailleurs, dans cette culture de l’indifférence.
Que le Seigneur vous bénisse tous ! Merci.

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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS À CHYPRE ET EN GRÈCE (2-6 DÉCEMBRE 2021) RENCONTRE AVEC LES AUTORITÉS, LA SOCIÉTÉ CIVILE ET LE CORPS DIPLOMATIQUE DISCOURS DU SAINT-PÈRE

[…] Une perle, en effet, se forme au fil du temps : il faut des années pour que
les différentes stratifications la rendent compacte et brillante. De la même façon,
la beauté de cette terre provient des cultures qui se sont rencontrées et
mélangées au fil des siècles. Aujourd’hui encore, la lumière de Chypre offre de
multiples facettes : il y a tant de peuples et de personnes qui, avec des couleurs
différentes, composent la gamme chromatique de cette population. Je pense
aussi à la présence de nombreux immigrés, le plus grand pourcentage parmi les
pays de l’Union Européenne. Préserver la beauté multicolore et polyédrique de
l’ensemble n’est pas chose aisée. Comme pour la formation d’une perle, cela
exige du temps et de la patience, une vision large qui englobe la variété des
cultures et envisage l’avenir avec clairvoyance. En ce sens, il est important de
protéger et de promouvoir chaque composante de la société, en particulier celles
qui sont statistiquement minoritaires. Je pense également aux différents
organismes catholiques qui pourraient bénéficier d’une reconnaissance
institutionnelle appropriée, afin que la contribution qu’ils apportent à la société
par leurs activités, notamment éducatives et caritatives, soit définie clairement
d’un point de vue juridique.
Une perle fait ressortir sa beauté dans les circonstances difficiles. Elle naît dans
l’obscurité, lorsque l’huître « souffre » après une visite inattendue qui menace son
intégrité, comme par exemple un grain de sable qui l’irrite. Pour se protéger, elle
réagit en assimilant ce qui l’a blessée : elle enveloppe ce qui lui est dangereux et
étranger, et le transforme en beauté, en perle. La perle de Chypre a été
obscurcie par la pandémie, qui a empêché de nombreux visiteurs d’y accéder et
d’en voir la beauté, aggravant, comme en d’autres lieux, les conséquences de la
crise économique et financière. En ce temps de reprise, ce ne sera pourtant pas
la frénésie à rattraper le temps perdu qui garantira un développement solide et
durable, mais plutôt l’engagement à promouvoir une société plus saine,
notamment à travers une lutte déterminée contre la corruption et les fléaux qui
portent atteinte à la dignité de la personne ; je pense en particulier aux trafics
des êtres humains. […]

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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS À CHYPRE ET EN GRÈCE (2-6 DÉCEMBRE 2021) RENCONTRE AVEC LES PRÊTRES, RELIGIEUX ET RELIGIEUSES, DIACRES, CATÉCHISTES, ASSOCIATIONS ET MOUVEMENTS ECCLÉSIAUX DE CHYPRE DISCOURS DU SAINT-PÈRE

[…] Je salue aussi l’Église latine, présente ici depuis des millénaires, qui a vu
croître dans le temps, en même temps que ses fils, l’enthousiasme de la foi et
qui aujourd’hui, grâce à la présence de beaucoup de frères et de sœurs
migrants, se présente comme un peuple “multicolore”, un véritable lieu de
rencontre entre différentes ethnies et cultures. Ce visage d’Église reflète le rôle
de Chypre au sein du continent européen : une terre aux champs dorés, une île
caressée par les vagues de la mer, mais surtout une histoire qui est un
enchevêtrement de peuples, une mosaïque de rencontres. Il en est de même
pour l’Église : catholique, c’est-à-dire universelle, un espace ouvert où tous sont
accueillis et rejoints par la miséricorde de Dieu et par l’invitation à aimer. Il n’y a
pas et il ne doit pas y avoir pas de murs dans l’Église catholique. N’oublions pas
cela ! Aucun d’entre nous n’a été appelé à être un prédicateur prosélyte, jamais.
Le prosélytisme est stérile, il ne donne pas la vie. Nous avons tous été appelés
par la miséricorde de Dieu, qui ne s’épuise jamais à appeler, qui ne s’épuise
jamais à être proche, qui ne s’épuise jamais à pardonner. Où sont les racines de
notre vie chrétienne ? Dans la miséricorde de Dieu. Nous ne devons jamais
l’oublier. Le Seigneur ne déçoit pas ; sa miséricorde ne déçoit pas. Elle nous
attend toujours. Dans l’Eglise catholique, n’y a pas de murs et, s’il vous plaît,
qu’il n’y en ait jamais ! Elle est une maison commune, le lieu des relations, la
coexistence des diversités. Tel rite, tel autre rite… untel voit les choses de cette
manière, telle sœur les voit ainsi, telle autre les voit autrement… C’est la
diversité de chacun et, dans cette diversité, la richesse de l’unité. Et qui fait
l’unité ? L’Esprit Saint. Comprenne qui pourra. C’est lui l’auteur de la diversité et
le créateur de l’harmonie. Saint Basile le disait : « Ipse harmonia est ». C’est lui
qui permet la diversité des dons et l’unité harmonique de l’Eglise. […]

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PAPE FRANÇOIS AUDIENCE GÉNÉRALE

APPEL
[…] Demain, je me rendrai à Chypre, puis en Grèce, pour rendre visite aux
chères populations de ces pays, riches d’histoire, de spiritualité et de civilisation.
Ce sera un voyage aux sources de la foi apostolique et de la fraternité entre
chrétiens de diverses confessions. J’aurai aussi l’opportunité d’approcher une
humanité blessée dans la chair de tant de migrants en quête d’espérance : je me
rendrai à Lesbos. Je vous demande, s’il vous plaît, de m’accompagner de vos
prières. Merci. […]