[Joy Monday, en anglais] Nous voulons avant tout vous remercier pour votre attention et votre préoccupation constantes et bienveillantes pour tous les migrants et les victimes de la traite. Nous avons connu de nombreuses difficultés et souffrances avant d’arriver en Italie. Arrivés en Italie, nous avons du mal à nous intégrer et trouver un travail digne est quasiment impossible. Je voudrais vous poser une question: pensez-vous que le silence surprenant sur les cas de traite soit dû à l’ignorance du phénomène? Il y a indubitablement une grande ignorance sur le thème de la traite. Mais parfois, il semble qu’il y ait également peu de volonté de comprendre la portée du problème. Pourquoi? Parce qu’il touche de près notre conscience, parce qu’il est scabreux, parce qu’il nous fait honte. Il y a également ceux qui, tout en sachant, ne veulent pas parler parce qu’ils se trouvent au bout de la «filière de consommation», en tant qu’utilisateurs des «services» qui sont offerts dans la rue ou sur internet. Il y a, enfin, ceux qui ne veulent pas que l’on en parle, parce qu’impliqués directement dans les organisations criminelles qui tirent de gros profits de la traite. Oui, il faut du courage et de l’honnêteté, «quand, dans le quotidien, nous rencontrons ou avons affaire à des personnes qui pourraient être victimes du trafic d’êtres humains, ou quand nous devons choisir d’acheter des produits qui peuvent, en toute vraisemblance, avoir été fabriqués par l’exploitation d’autres personnes».[1] Le travail de sensibilisation doit commencer chez nous, partir de nous-mêmes, car ce n’est qu’ainsi que nous serons capables ensuite d’éveiller les consciences de nos communautés, en les encourageant à s’impliquer afin qu’aucun être humain ne soit plus victime de la traite. Pour les jeunes, cela semble une tâche plus facile, étant donné que leur pensée est moins structurée, qu’ils sont plus libres de raisonner par eux-mêmes. La voix des jeunes, plus enthousiaste et spontanée, doit rompre le silence pour dénoncer les injustices de la traite et proposer des solutions concrètes. Les adultes qui sont prêts à écouter peuvent être d’une grande aide. Pour ma part, comme vous l’aurez remarqué, je n’ai jamais perdu une occasion de dénoncer ouvertement la traite en tant que crime contre l’humanité. C’est «une véritable forme d’esclavage, malheureusement toujours plus répandue, qui concerne tous les pays, y compris les plus développés, et qui touche les personnes les plus vulnérables de la société: les femmes et les jeunes filles, les enfants, les personnes handicapées, les plus pauvres, celles qui sont dans des situations de décomposition familiale et sociale».[2] J’ai également dit qu’«une prise de responsabilité commune ainsi qu’une volonté politique plus ferme sont nécessaires pour réussir à vaincre sur ce front; responsabilité envers tous ceux qui sont tombés victimes de la traite, pour en protéger les droits, pour assurer leur sécurité et celle de leurs familles, pour empêcher que les corrompus et les criminels se soustraient à la justice et aient le dernier mot sur les personnes».[3] [Silvia Migliorini, lycée de la via Dalmazia, Rome] Un grand nombre de jeunes comme nous veulent mieux comprendre la traite, les migrations et leurs causes. Oui, nous voulons nous engager pour rendre ce monde plus juste. Nous voudrions affronter des thèmes comme celui-ci avec les jeunes de notre société, en utilisant notamment les réseaux sociaux, étant donné leur potentialité importante de communication. Cher Pape François, dans les groupes paroissiaux, dans les mouvements de jeunes, dans les institutions éducatives catholiques, souvent, il n’existe pas de place adéquate et suffisante pour affronter ces thèmes. En outre, il serait beau que l’on organise des activités pour promouvoir l’intégration sociale et culturelle avec les personnes victimes de la traite, afin qu’il soit plus facile pour elles de surmonter leur drame et de se refaire une vie. Que pouvons-nous faire, nous les jeunes? Que peut faire l’Eglise? Les jeunes occupent une position privilégiée pour rencontrer les rescapés de la traite d’êtres humains. Allez dans vos paroisses, dans une association près de chez vous, rencontrez les personnes, écoutez-les. De là découleront une réponse et un engagement concrets de votre part. Je vois en effet le risque que cela devienne un problème abstrait, mais il n’est pas abstrait. Il y a des signes que vous pouvez apprendre à «lire», qui vous disent: il pourrait s’agir ici d’une victime de la traite, d’un esclave. Nous avons besoin de promouvoir la culture de la rencontre qui porte toujours en elle une richesse inattendue et de grandes surprises. Saint Paul nous donne un exemple: dans le Christ, l’esclave Onésime n’est plus un esclave, mais beaucoup plus, c’est un frère très cher (cf. Philémon, 1, 16). L’espérance, vous les jeunes, vous pouvez la trouver dans le Christ, et vous pouvez le rencontrer également dans les personnes migrantes, qui se sont enfuies de chez elles, et qui sont tombées dans les filets des réseaux. N’ayez pas peur de les rencontrer. Ouvrez votre cœur, faites-les entrer, soyez prêts à changer. La rencontre avec l’autre porte naturellement à un changement, mais il ne faut pas avoir peur de ce changement. Il sera toujours pour le mieux. Rappelez-vous les paroles du prophète Isaïe: «Elargis l’espace de ta tente» (cf. 54, 2). L’Eglise doit promouvoir et créer de nouveaux espaces de rencontre, pour cette raison, j’ai demandé d’ouvrir les paroisses à l’accueil. Il faut reconnaître le grand engagement en réponse à mon appel, merci! Je vous demande à vous qui êtes présents aujourd’hui d’œuvrer en faveur de l’ouverture à l’autre, surtout lorsqu’il est blessé dans sa dignité. Devenez promoteurs d’initiatives que vos paroisses puissent accueillir. Aidez l’Eglise à créer des espaces de partage d’expériences et d’intégration de foi et de vie. Les réseaux sociaux représentent également, surtout pour les jeunes, une opportunité de rencontre qui peut sembler illimitée: internet peut offrir de grandes possibilités de rencontre et de solidarité entre tous, et cela est une bonne chose, c’est un don de Dieu. Toutefois, pour chaque instrument qui nous est offert, le choix que l’homme décide d’en faire est fondamental. Le milieu de la communication peut nous aider à croître ou, au contraire, à nous désorienter. Il ne faut pas sous-estimer les risques contenus dans certains de ces espaces virtuels; à travers le réseau, de nombreux jeunes sont appâtés et entraînés dans un esclavage dont ils n’ont plus la capacité ensuite de se libérer. Dans ce domaine, les adultes, parents et éducateurs — également les frères et cousins un peu plus grands — sont appelés au devoir de surveiller et de protéger les jeunes. Vous devez faire la même chose avec vos familles et amis, percevoir et signaler des vulnérabilités particulières, des cas suspects sur lesquels il faut faire la lumière. Utilisez donc le réseau pour partager un récit positif de vos expériences de rencontre avec nos frères dans le monde, racontez et partagez les bonnes pratiques et instaurez un cercle vertueux. [Faith Outuru, en anglais] Je suis l’une des nombreuses jeunes provenant d’un pays lointain, avec une culture différente, des conditions de vie et une expérience d’Eglise diverses. A présent, je suis ici et je veux construire ici mon avenir. Mais je pense à mon pays, aux nombreux jeunes qui sont trompés par de fausses promesses, piégés, réduits en esclavage, prostitués. Comment pourrions-nous aider ces jeunes à ne pas tomber dans le piège des illusions et dans les mains des trafiquants? Comme tu l’as dit, il faut faire en sorte que les jeunes ne tombent pas «dans les mains des trafiquants». Et comme il est horrible de se rendre compte qu’un grand nombre des jeunes victimes ont été auparavant abandonnées par leurs familles, considérées comme un déchet par leur société! De plus, un grand nombre d’entre elles ont été conduites à la traite par leurs familles mêmes et par leurs soi-disant amis. Cela est arrivé également dans la Bible: rappelez-vous que ses frères aînés vendirent le jeune Joseph comme esclave, et ainsi, il fut conduit comme esclave en Egypte! Dans des conditions d’extrême difficulté également, l’éducation se révèle importante. C’est un instrument de protection contre la traite, en effet, elle aide à identifier les dangers et à éviter les illusions. Un sain milieu scolaire, tout comme un sain milieu paroissial, permet aux jeunes de dénoncer les trafiquants éhontés et de devenir porteurs de justes messages pour d’autres jeunes, afin qu’ils ne finissent pas dans le même piège. Tous ceux qui ont été victimes de la traite sont des sources inépuisables de soutien pour les nouvelles victimes et des ressources très importantes d’information pour sauver beaucoup d’autres jeunes. Ce sont souvent de fausses nouvelles, parvenues à travers le bouche à oreille ou véhiculées par les réseaux sociaux, qui prennent au piège les innocents. Les jeunes qui ont eu affaire avec la criminalité organisée peuvent jouer un rôle clé pour décrire ses dangers. Les trafiquants sont souvent des personnes sans scrupules, sans morale ni éthique, qui vivent sur les malheurs des autres, en profitant des émotions humaines et du désespoir des gens pour les soumettre à leur volonté, faisant d’eux des esclaves complètement soumis. Il suffit de penser au nombre de femmes africaines très jeunes qui arrivent sur nos côtes en espérant commencer une nouvelle vie, en pensant gagner leur vie de façon honnête, et sont réduites au contraire en esclavage, obligées de se prostituer. Pour les jeunes, il est fondamental de construire pas après pas son identité et d’avoir un point de référence, un phare comme guide. Depuis toujours, l’Eglise veut être aux côtés des des personnes qui souffrent, en particulier des enfants et des jeunes, en les protégeant et en promouvant leur développement humain intégral. Les mineurs sont souvent «invisibles», soumis à des dangers et des menaces, seuls et faciles à manipuler; nous voulons, même dans les réalités les plus précaires, être votre phare d’espérance et de soutien, parce que Dieu est toujours avec vous. «Le courage et l’espérance sont des qualités de tous, mais elles appartiennent en particulier aux jeunes: courage et espérance. L’avenir est assurément entre les mains de Dieu, les mains d’un Père providentiel. Cela ne signifie pas nier les difficultés et les problèmes, mais les considérer, eux oui, comme provisoires et surmontables. Les difficultés, les crises, avec l’aide de Dieu et la bonne volonté de tous peuvent être surmontées, vaincues, transformées». [Antonio Maria Rossi, lycée de via Dalmazia, Rome] Nous, les jeunes italiens, nous sommes confrontés à un contexte marqué chaque jour davantage par la pluralité des cultures et des religions. Il s’agit d’un défi ouvert. Souvent le manque de respect pour celui qui est différent, la culture du rebut et la corruption, dont naît la traite, semblent des choses normales. S’il vous plaît, Pape François, continuez à encourager nos gouvernants afin qu’ils s’opposent à la corruption, à la vente d’armes et à la culture du rebut; encouragez également tous les responsables religieux à garantir des espaces où les diverses cultures et religions puissent se connaître et se valoriser réciproquement, de manière à ce que tous partagent la même spiritualité de l’accueil. Je voudrais vous demander: que pouvons-nous faire, ici, afin que disparaisse définitivement la plaie de la traite? Quand les pays sont en proie à une pauvreté extrême, à la violence et à la corruption, l’économie, le cadre juridique et les infrastructures de base sont inefficaces et ne réussissent pas à garantir la sécurité, les biens et les droits essentiels. Dans ces contextes, les auteurs de ces crimes agissent impunément. La criminalité organisée et le trafic illégal de drogues et d’êtres humains choisissent leurs proies parmi les personnes qui aujourd’hui ont de faibles moyens de subsistance et encore moins d’espérance pour le lendemain. La réponse est donc de créer des opportunités pour un développement humain intégral, en commençant par une instruction de qualité dès la première enfance, en créant successivement des opportunités de croissance à travers le travail. Ces deux modalités de croissance, dans les diverses phases de la vie, représentent les antidotes à la vulnérabilité et à la traite. Celle que j’ai plusieurs fois qualifiée de «culture du rebut» est à la base des comportements qui, sur le marché et notre univers mondialisé, conduisent à l’exploitation des êtres humains à tous les niveaux. «La pauvreté, les besoins et les drames de tant de personnes finissent par entrer dans la normalité».[4] Certains Etats promeuvent, au sein de la communauté internationale, une politique particulièrement dure pour vaincre le trafic d’êtres humains; cette attitude est en soi erronée car, à cause d’intérêts économiques présents en arrière-plan, on ne veut pas affronter les causes profondes. En outre, la position au niveau international n’est pas toujours cohérente avec les politiques internes. J’espère vraiment que vous puissiez envoyer un message aux responsables à tous les niveaux de gouvernement, du monde des affaires et de la société, en demandant l’accès à une instruction de qualité et donc à un emploi juste et durable. Une stratégie comprenant une plus grande connaissance du thème de la traite, à partir d’une terminologie claire et des témoignages concrets des protagonistes, peut certainement apporter une aide. Toutefois, la conscience réelle de ce thème requiert l’attention à la «demande de traite» qui se trouve derrière l’offre (la filière de la consommation); nous sommes tous appelés à sortir de l’hypocrisie et à affronter l’idée d’être une partie du problème, plutôt que passer notre chemin en proclamant notre innocence. Laissez-moi le dire, s’il y a tant de jeunes femmes victimes de la traite qui finissent dans les rues de nos villes, c’est parce que beaucoup d’hommes ici — des jeunes, des hommes mûrs, âgés — demandent ces services et sont disposés à payer pour leur plaisir. Je me demande alors, est-ce que ce sont vraiment les trafiquants les principaux responsables de la traite? Je crois que la cause principale est l’égoïsme sans scrupules de tant de personnes hypocrites dans notre monde. Assurément, arrêter les trafiquants est un devoir de justice. Mais la vraie solution est la conversion des cœurs, la baisse de la demande pour assécher le marché. [Maria Magdalene Savini] Pape François, dans votre message adressé aux maires de grandes villes réunis au Vatican, vous avez dit que «pour être vraiment efficace, l’engagement commun pour la construction d’une conscience écologique et pour faire obstacle aux esclavages modernes — trafic d’êtres humains et d’organes, prostitution, travail au noir — doit partir des périphéries».[5] Nous aussi, les jeunes, nous vivons souvent dans la périphérie et nous souffrons de l’exclusion, de l’insécurité car nous n’avons ni travail ni accès à une éducation de qualité, nous vivons dans des situations de guerre, de violence, nous sommes obligés de quitter nos terres, car nous appartenons à des minorités ethniques ou religieuses. En particulier nous, les femmes, sommes pénalisées et sommes les principales victimes. Quelle place donnera-t-on dans le synode des jeunes aux jeunes garçons et filles qui proviennent des périphéries de l’exclusion, provoquée par un modèle de développement désormais dépassé, qui continue à déboucher sur la dégradation humaine? Comment faire en sorte que ces jeunes filles et ces garçons soient les protagonistes du changement dans la société et dans l’Eglise? Je désire, pour ceux qui sont les témoins réels des risques de la traite dans leurs pays d’origine, qu’ils puissent trouver dans le synode un lieu pour s’exprimer eux-mêmes, d’où appeler l’Eglise à l’action. C’est pourquoi mon grand désir est que les jeunes représentants des «périphéries» soient les protagonistes de ce synode. Je souhaite qu’ils puissent voir le synode comme un lieu d’où lancer un message aux gouvernants des pays d’origine et d’arrivée, pour demander protection et soutien. Je souhaite que ces jeunes lancent un message global pour une mobilisation de la jeunesse mondiale, pour construire ensemble une maison commune inclusive et accueillante. Je souhaite qu’ils deviennent des exemples d’espérance pour ceux qui traversent le drame existentiel du découragement. L’Eglise catholique entend intervenir aujourd’hui à chaque phase de la traite des êtres humains: elle veut les protéger de la tromperie et des propositions illusoires; elle veut les trouver et les libérer quand ils sont déplacés et réduits en esclavage; elle veut les assister une fois libérés. Souvent les personnes qui ont été piégés et maltraitées perdent la capacité d’avoir confiance dans les autres, et l’Eglise apparaît souvent comme la dernière planche de salut. Il est très important de répondre de manière concrète à la vulnérabilité de ceux qui sont à risque, pour ensuite accompagner les processus de libération, en commençant par mettre leurs vies en sécurité. Les groupes ecclésiaux peuvent ouvrir des espaces de sécurité là où cela est nécessaire, dans les lieux de recrutement, sur les routes du trafic et dans les pays d’arrivée. Mon espérance est que le synode soit également une opportunité pour les Eglises locales d’apprendre à travailler ensemble et à devenir «un réseau de salut». Je voudrais enfin conclure en citant sainte Joséphine Bakhita. cette grande soudanaise «est aujourd’hui encore un témoin exemplaire d’espérance pour les nombreuses victimes de l’esclavage et elle peut soutenir les efforts de ceux qui se consacrent à la lutte contre cette “plaie dans le corps de l’humanité contemporaine, une plaie dans la chair du Christ”».[6] Puisse-t-elle nous inspirer à accomplir des gestes de fraternité avec ceux qui se trouvent dans un état de soumission; à nous laisser interpeller, à nous laisser inviter par la rencontre. Prions: Sainte Joséphine Bakhita, enfant tu as été vendue comme esclave et tu as dû affronter des difficultés et des souffrances indicibles. Une fois libérée de ton esclavage physique, tu as trouvé la vraie rédemption dans la rencontre avec le Christ et son Eglise. Sainte Joséphine Bakhita, aide tous ceux qui sont emprisonnés dans l’esclavage. En leur nom, intercède auprès du Dieu de la Miséricorde, de façon à ce que les chaînes de leur prison puissent être brisées. Puisse Dieu lui-même libérer tous ceux qui ont été menacés, blessés ou maltraités par la traite et par le trafic d’êtres humains. Apporte le soulagement à ceux qui survivent à cet esclavage et enseigne-leur à voir Jésus comme un modèle de foi et d’espérance, pour qu’ils puissent ainsi guérir leurs blessures. Nous te supplions de prier et d’intercéder pour nous tous: afin que nous ne tombions pas dans l’indifférence, afin que nous ouvrions les yeux et que nous puissions regarder les misères et les blessures de tant de nos frères et sœurs privés de leur dignité et de leur liberté et entendre leur appel à l’aide. Amen.